Edito du mois : L’approche bénéfice / risque des banques centrales


Mis à jour le: 25/03/2021 à 14h35 par Jonathan Levy

Edito du mois : L’approche bénéfice / risque des banques centrales

C’est difficile à comprendre, en particulier lorsqu’on habite un des 16 départements français pour lesquels le gouvernement a décidé de nouvelles mesures de restrictions, mais depuis peu, les investisseurs s’inquiètent d’une possible surchauffe de l’économie. Le débat peut paraître lunaire pour nous, et on dira encore que les marchés financiers sont totalement déconnectés de la réalité. Et pourtant, cela a déjà fait trébucher l’indice phare de la bourse de Paris qui a corrigé par rapport à son point haut le plus atteint cette année. Les marchés financiers ont-ils raison de s’inquiéter de cette situation ?

 

Le débat est plus intense aux États-Unis qu’en Europe, où l’inflation est fortement remontée en ce début d’année pour se rapprocher de la barre symbolique des 2%. D’après un sondage effectué par Bank Of America, la remontée de l’inflation est devenue la première préoccupation des investisseurs, devant la crise du COVID. Ainsi, les marchés craignent que la remontée de l’inflation ne s’accélère pour dépasser allègrement les 2%. Or, pour beaucoup, une fois que l’inflation s’emballe, il est très difficile de la freiner sans risquer de provoquer une forte crise économique.

Cette crainte de surchauffe est en grande partie liée aux efforts budgétaires qu’ont réalisés les États-Unis depuis le début de la crise. Après les deux plans de relance votés sous l’ère Trump, Biden vient de lancer le troisième plan d’un montant pharaonique (1900 Md$, soit près de 10% du PIB américain). Cela s’accompagne d’ailleurs d’une accélération du creusement du déficit de l’État fédéral : après 16% en 2020, il devrait encore se situer sur des niveaux très élevé en 2021 (autour de 9%). Une des agences de l’État prévoit que ce déficit se situera pendant une longue période nettement au-dessus de sa moyenne jusqu’en 2030 probablement. En conséquence, la dette devrait battre son record absolu en dépassant les 107% du PIB.

 

Mais au fond, qu’est-ce qui est vraiment en jeu aujourd’hui ?

 

Au-delà de l’inflation qui remonte, la vraie crainte des marchés porte sur la hausse des taux qui découle de la remontée de l’inflation. Les taux à 10 ans de l’obligation du Trésor américain sont remontés de 0,5% en août dernier à 1,70% mi-mars, avec une accélération depuis un mois. La Hausse des taux fragilise les marchés actions qui paraissent un peu moins attractifs relativement aux marchés obligataires.

Certains investisseurs (qui sont encore loin d’être majoritaires) craignent que nous soyons entrés dans une nouvelle ère de hausse des taux, après 40 ans de baisse quasi continue, qui a en partie alimenté la hausse des actions. Cette période qui s’ouvre à nous pourrait alors être marquée par une plus forte volatilité des actions, et peut être aussi par une baisse plus durable des multiples de valorisation.

Mais en réalité, nous sommes encore loin, pour ne pas dire à des années lumières, de changer de paradigme. La FED a commencé à préparer le terrain l’année dernière quand elle a changé ses critères qui guident sa politique monétaire. Elle a évoqué que dorénavant elle ne regardera plus l’inflation instantanée, mais l’inflation sur moyenne période. Or s’il est probable que l’inflation remonte aux États-Unis bien au-delà des 2% (peut-être aux alentours de 3-3,5%), cette incursion ne devrait pas être durable, si bien que la FED pourrait accepter cette situation sans avoir à remonter ses taux directeurs.

D’ailleurs, les marchés sont plus « pessimistes » que la FED elle-même sur la remontée des taux directeurs. Lorsqu’on interroge les membres du Comité de politique monétaire de la FED, il n’y en a pas un seul qui table sur une hausse des taux directeurs avant la fin 2023. Or le marché anticipe que cela arrivera bien avant, dès le début 2023.

Si les marchés financiers sont si nerveux sur la question de l’inflation c’est bien parce qu’elle est la clef de voute de tout l’édifice du système financier mondial. Partout dans le monde les états ont lancé des plans de relance gigantesque pour éviter une crise économique sévère et durable qu’aurait pu causer la crise sanitaire. La dette considérable qui en découle est financée en grande partie par les banques centrales (c’est-à-dire par création monétaire). Or ce qui leur permet d’en faire autant, c’est la maitrise de l’inflation. Si celle-ci venait à s’affoler, cela remettrait en cause les politiques actuelles des banques centrales, et c’est tout l’édifice qui s’effondre.
Cela peut paraitre fragile pour les plus anciens d’entre nous qui ont connu des périodes d’hyper inflation, mais ces politiques monétaires sont les meilleures qu’on puisse conduire aujourd’hui, même si cela comporte des risques. A l’heure où l’on nous parle en permanence de l’approche bénéfices / risques des vaccins, il en est de même pour les politiques monétaires.

 

Par Jonathan Levy

Président, co-fondateur de bienprévoir.fr

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