Le gouvernement est dans sa bulle !
Publié la première fois le: 15/01/2015 à 15h42
Mis à jour le: 05/07/2018 à 14h38
par Jonathan Levy
La fixation du taux du livret A est toujours un casse–tête politique.
Aujourd’hui encore, on voit la difficulté du gouvernement à prendre des décisions qui ne devraient être que purement économiques. Mais peut-être n’a-t-il pas conscience des enjeux, essayons de l’éclairer.
D’abord, le contexte. L’inflation en France est tombée à un niveau extrêmement bas en décembre dernier, puisque les prix n’ont augmenté que de 0,1% sur un an, à des années lumières de l’objectif de 2%. Certains de nos proches voisins sont déjà en déflation depuis plusieurs mois (l’Espagne en particulier). Même l’Allemagne, « locomotive de l’Europe », qui semblait épargnée, voit sont taux d’inflation chuter fortement depuis des mois. Au global, la zone euro à une inflation négative de 0,2%.
La BCE cherche par tous les moyens à faire repartir ce taux d’inflation, car le risque tant redouté serait qu’on tombe dans une spirale déflationniste, avec à la clef, un chômage en hausse.
La BCE a pris des mesures dans ce sens depuis juin 2014. Mais pour l’instant, les résultats ne sont pas au rendez-vous, puisque l’inflation continue de chuter de mois en mois. La volonté de la BCE était de mener une politique monétaire accommodante qui profite à l’économie réelle, et ne reste pas cantonnée à la sphère financière.
Cette stratégie a bien fonctionnée aux Etats-Unis. La FED (la banque centrale américaine) a réussi à faire baisser les taux des crédits immobiliers et des crédits à la consommation, notamment les crédits automobiles. Le résultat s’est fait ressentir rapidement. Le secteur immobilier s’est redressé, et les ventes de voitures neuves sont reparties à la hausse dans la foulée.
En Europe, ca ne marche pas, car pour l’instant la courroie de transmission de la politique monétaire à l’économie réelle est cassée.
On voit en effet que les encours de crédits progressent à des niveaux historiquement bas. Entre 2003 et 2007, les encours de crédits aux entreprises augmentaient de 6 à 12% par an. Depuis 2013, ils ne progressent plus que de 2% annuellement. C’est beaucoup trop « mou » pour alimenter la croissance. Mais comment expliquer ce phénomène alors que l’on entend partout que les taux sont historiquement bas ?
En réalité, seuls les taux de marchés sont bas, les taux auxquels la France emprunte par exemple. Ca profite donc aux Etats, mais pas à l’économie réelle. Il n’y a pas de répercussion de la baisse des taux aux acteurs privés (ménages et entreprises). Quand on regarde les taux moyens auxquels les entreprises empruntent en France, on voit qu’ils n’ont que faiblement baissé en 2014. En fait, les taux des crédits sont chers par rapport au contexte actuel, par rapport au niveau de l’inflation.
Si on les compare à l’inflation, les taux des crédits sont beaucoup plus chers aujourd’hui qu’il y 3 ans. En 2011, les taux des crédits aux entreprises étaient de 3,60% en moyenne, alors que l’inflation était de 2,50%, soit un surcoût de 1,10%. Fin 2014, le taux des crédits aux entreprises est tombé à 2,40%, mais avec une inflation à 0,1%, cela fait un surcoût de 2,30%. Le surcoût des crédits a augmenté, ce qui est une aberration par rapport à la situation économique actuelle.
Pour fixer le taux des crédits, les banques se réfèrent au coût de leurs ressources, constituées en grande partie de livrets et des PEL. Les taux réglementés sont fixés par l’État, qui détermine donc largement le taux auquel les banques se refinancent.
Le système français est de ce point de vue archaïque. Les politiques déterminent le taux des principaux produits d’épargne selon des considérations politiques, et non économiques. Pour éviter cet écueil, le gouvernement Jospin avait mis en place une formule dépendante de l’inflation il y a 15 ans ! Mais finalement, rien n’a changé puisque le gouvernement se réserve toujours le droit de ne pas suivre cette formule.
Par cette décision de maintenir un taux artificiellement élevé sur le livret A et le PEL, le gouvernement prive l’économie française des bénéfices de la politique monétaire accommodante de la BCE. Cela fait des mois que la BCE réfléchit à lancer un programme de rachat de dettes souveraines, mais son impact sera nul sur l’économie, si les taux des crédits ne bougent pas. C’est pour ça que nous militons pour une baisse drastique du taux du livret A et du PEL, à respectivement 0,25% et 0,75%.
Le Premier Ministre exhorte la BCE d’agir pour engager une relance monétaire, afin de détourner l’attention. Mais en fait, la balle n’est pas dans le camp de la BCE, elle est dans celui du gouvernement. Que chacun prenne ses responsabilités, et alors on pourra dire qu’on a tout tenté.