Edito du mois : Le bras de fer Trump – Powell
Publié la première fois le: 25/10/2018 à 11h25
Mis à jour le: 07/11/2018 à 10h47
par Jonathan Levy
Si ce n’était une affaire sérieuse, cela en serait risible : Trump a de nouveau pesté contre la FED qui est en phase de remontée des taux d’intérêt. Il y a deux semaines, il l’a traitée de « folle », et cette fois-ci, il s’est plaint dans le très sérieux Wall Street Journal que la « FED relevait les taux trop vite, comme si Jerome Powell était content de le faire ». « A chaque fois qu’on fait quelque chose de bien, il monte les taux » a tonné Donald Trump.
Mais ce que ne comprend pas le président américain, ou ce qu’il feint de ne pas comprendre, c’est que la politique monétaire de la FED est finalement la conséquence logique à sa politique économique, avec les bons et les mauvais côtés.
Les bons côtés d’abord. La formidable relance budgétaire initiée l’année dernière a fortement contribué à l’embellie de l’économie américaine. La baisse de l’impôt sur les sociétés a redonné de l’air aux entreprises qui ont à la fois augmenté les salaires, et investi. Pour les entreprises cotées, elles ont aussi lancé des plans de rachat d’actions, ce qui a été favorable à Wall Street, mais pas forcément à l’économie réelle. Trump a aussi mis en application sa promesse de campagne : simplifier la réglementation. Mais au global, les entreprises ont continué à embaucher, faisant reculer le chômage à son plus bas niveau historique. Donald Trump a également baissé l’impôt pour les ménages ce qui a permis de soutenir la consommation, pilier de l’économie américaine. Pour prévenir la surchauffe de l’économie (qui se voit dans les salaires et dans le niveau de l’inflation au-dessus de 2%), il est temps pour la FED de relever ses taux d’intérêt.
Les mauvais côtés maintenant, avec la guerre commerciale. Le pari de Donald Trump est que la Chine a plus à perdre que les États-Unis. Mais le président fait un mauvais calcul puisque les deux économies seraient perdantes. Et les États-Unis commencent d’ailleurs à payer les conséquences de ce bras de fer avec la Chine. Donald Trump a décidé de taxer les importations en provenance de la Chine. Mais cela rend les produits importés plus chers. Par conséquence cela contribue à faire grimper les prix. Cela pèse sur le pouvoir d’achat des ménages ou sur les marges des entreprises lorsqu’elles n’arrivent pas à répercuter la hausse des coûts dans leurs prix. Dans tous les cas, la conséquence directe de ces mesures de hausse des taxes douanières est une hausse de l’inflation. Là encore, cela doit pousser la FED à relever ses taux d’intérêt.
Les conséquences de la hausse des taux aux Etats-Unis sont multiples. Pour commencer, cela rend les crédits plus chers, ce qui affaiblit entre autres le marché immobilier (les ventes de logements neufs sont en forte baisse en septembre). La hausse des taux rend également le dollar plus fort, ce qui est contraire à l’effet recherché, puisque cela rend les exportations moins compétitives et les importations plus attractives. Enfin, cela rend les marchés financiers plus nerveux : les investisseurs se détournent des actions américaines pour acheter des Treasuries jugées plus rémunératrices et moins risquées. Cette rotation d’actifs crée de la volatilité sur les marchés financiers, or les États-Unis sont sensibles au niveau de la bourse. Cela gêne donc Donald Trump, particulièrement en période électorale.
Donald Trump a donc pris en grippe le président de la FED, qu’il a lui-même nommer en début d’année. Mais Jerome Powell est finalement la seule personne au monde sur laquelle Trump n’a pas de réel moyen de pression. Un adage sur les marchés financiers dit : don’t fight the Central Bank (n’affronte pas la Banque Centrale). Cela s’applique-t-il au président des États-Unis ? Finalement lequel des deux hommes est le plus puissant ?
La réponse à cette question semble évidente. Certes, l’un est nommé par l’autre, mais Hegel nous a appris que du maître et de l’esclave, c’est finalement le second le plus puissant.